REVUE n°07 ORDINAIRE |
Publiée en novembre 2025
ORDINAIRE
Combien sont-ils, celles et ceux qui vivent dans des palais, dans des châteaux, dans des
arbres ou dans des nids perchés en montagne ?
Combien sont-ils, celles et ceux qui vont faire leurs courses à dos de girafe, elle-même sur un vélo, ou qui vont au travail via un transport en commun desservi par une baleine ?
Quelle proportion de gens ne cuisinent que des aliments de leurs jardins ou vivent sans
se faire de mauvais sang pour l’avenir de leurs enfants…
Tout cela, c’est l’extraordinaire.
L’ordinaire, c’est la laideur, celle du quotidien : appartement étriqué, meubles génériques, métro-boulot répétitif, rapports conjugaux éteints, réseaux sociaux aliénants, ville pénible, sale, arrogante et violente. La violence partout, toujours plus grande, sans barrière, comme le reflet grandissant de notre incapacité à avoir confiance en l’autre : c’est l’ordinaire.
L’ordinaire, c’est la politique qui méprise ses électeurs, ce sont les constructeurs qui méprisent l’avenir et les promoteurs qui méprisent les citoyens.
C’est ça l’ordinaire : le mépris à chaque coin de rue. C’est la quête coûte que coûte de la performance par la rentabilité. C’est aussi se satisfaire de bouffer du plastique et d’accepter son sort en se refermant sur soi. Doit-on accepter les constructions à moindre coût pour 7 milliards d’individus, pour le profit de quelques-uns ?
L’ordinaire, c’est aussi les températures qui s’affolent et la planète qui râle d’en avoir assez d’être maltraitée et trahie. Alors elle craque, elle crie : tempêtes monstres, incendies infinis… C’est aussi devenu l’ordinaire.
L’ordinaire, c’est la violence sous toutes ses formes. Et la violence a toujours une fin.
À n’en pas douter, nous vivons la fin d’une époque. Face à cela, l’humanité se perd littéralement. Plus aucun projet de société, plus aucune prise de risque.
Elle se divise, s’entredéchire, tue sans limite et en toute impunité, érige des murs, brandit ses armes, comme si la barbarie pouvait être un refuge. C’est une fuite, un aveu de faiblesse !
La violence s’exhibe, outrancière, dépassant l’immonde, mais derrière ses coups se cache la peur crue, l’impuissance et le refus d’imaginer autrement. Quelle lâcheté !
Et nous ? Nous baissons les yeux, acceptant comme ordinaire ce qui nous détruit.
Mais ce que nous acceptons n’est pas une fatalité, et le chant du cygne de cet ordinaire est déjà entamé.
La mascarade politique et marchande n’accélère que sa chute.
Alors s’ouvre une brèche : celle d’un courage qui devient citoyen, d’une pensée qui s’ancre dans le réel, d’un désir de construire non plus contre, mais avec.
Rebâtir la confiance et s’affranchir des idées préconçues.
La ville ne doit plus se construire comme on nous la vend, comme si c’était un passage
obligé. Les promesses des promoteurs, des bailleurs, des constructeurs, des aménageurs ne sont que des leurres, à l’envers de l’intérêt général. Ils mentent. La ville ne peut plus mentir : elle doit se fabriquer comme on la désire !
Il faut passer à l’acte, encore plus, encore et encore, ne plus rien céder à l’intelligence.
Saisir la moindre opportunité, la créer surtout, rater, recommencer, encore.
Trouver des brèches et les faire grandir, éprouver les solutions pour démontrer et ringardiser le mensonge et le mépris.
Avec obstination, avec obsession, expérimenter et agir, faire, défaire et refaire, encore, avec humilité toujours, et transformer les obstacles en marchepied de possibles.
Cette mutation a déjà commencé.
La conception du moment se cogne au réel.
Le factice, le faux-semblant, le geste s’estompent pour regarder le monde tel qu’il est et lui faire face.
Le courage devient citoyen.
Les maires doivent s’y plier et nous entendre, sans pouvoir l’ignorer enfin, pour qu’une nouvelle silhouette des villes se dessine, qu’elles réapprennent à respirer, que les murs protègent sans enfermer, que la ville prenne soin.
Le commun redeviendra une évidence, et l’ordinaire, notre tâche, notre responsabilité, notre puissance.
Si elle devait être définie, alors faisons que la ville ordinaire soit celle de la dignité en actes!
Matthieu Poitevin
Président de l’association Va jouer dehors !